
La sobriété est présente depuis quelque temps dans les discours de tous nos responsables politiques et institutionnels, y compris au niveau international.
La vulgarisation à laquelle ils se livrent ainsi constitue surtout un vrai brouillage du message.
Comment qualifier autrement le fait que la « chasse au gaspi » annoncée par le gouvernement pour affronter les pénuries liées au conflit ukrainien soit qualifiée de « plan de sobriété »
?
Tout ceci masque (délibérément ou non) le fait que la véritable sobriété relève en réalité d’une profonde remise en cause de notre régime de croissance.
Si la sobriété
était seulement une chasse au gaspi, elle serait surtout circonscrite au chauffage des bâtiments ou à la réduction des transports (par le télétravail ou le
covoiturage).
Elle servirait essentiellement à préserver les usages industriels actuels, avec un impact très limité sur le mode de croissance : économiser des ressources
fossiles importées permettant d’utiliser du revenu disponible pour les autres consommations, elles-mêmes impactées par l’inflation
De plus, si on impute à la sobriété tous les investissements permettant diminuer notre empreinte carbone (isolation thermique, énergies renouvelables ou nucléaires), cela ne met
pas non plus en cause le mode de croissance capitaliste.
Le renouvellement du capital ancien (ici les technologies carbonées) par du capital nouveau, s’inscrit clairement dans la marche même du capitalisme (la destruction créatrice chère à
Joseph Schumpeter).
C’est précisément ce qui a permis jusqu’ici à ce système de se régénérer et de se réinventer périodiquement.
La sobriété carbone apparaît même comme une aubaine pour les entreprises, puisqu’elle augmente les coûts dans le bâtiment, relocalise une partie de la production d’énergie, oblige à remplacer le
parc de machines et de véhicules, ...
Cette « croissance verte » permet ainsi le développement de nouveaux débouchés dans lesquels s’engouffre sans difficultés le
capitalisme financiarisé.
Dans ces usages, le sens du mot « sobriété » est totalement dévoyé.
Car la « sobriété », c’est bien plus que la chasse au gaspi, et c’est bien autre chose que la sobriété carbone
C'est abandonner volontairement, des services, des usages, des activités, consommer moins ou s’équiper moins.
Ce n’est pas, loin de là, la seul efficacité énergétique,
laquelle est évidemment nécessaire : celle-ci permet juste de produire autant ou plus avec moins d’émission de CO2 (ce qui n'est évidemment pas négligeable).
Investir dans
l’isolation thermique, c’est de l’efficacité : pouvoir se chauffer autant en consommant moins d’énergétique.
Développer l’éolien, le solaire, l’hydrogène, ou même le
nucléaire, c’est produire autant ou plus en substituant des technologies à d’autres, etc.
C'est faire le pari que le progrès technique est "LA" solution pour diminuer la dépendance au carbone, voire à la supprimer. Or, le véritable concept de sobriété met en cause la confiance dans ce
pari !
D’abord parce qu’il affirme que c’est le développement capitaliste lui-même qui détruit la biosphère
L’innovation technologique, au lieu de résoudre les problèmes, parfois
les aggrave, comme par exemple le développement du numérique dont il a été amplement démontré le caractère fortement énergivore.
Ensuite, et surtout, parce que pour préserver le climat, il ne faut pas seulement économiser les moyens de production, mais réfléchir aux indispensables changements dans les usages sociaux de
cette production.
Ce point de vue est en totale contradiction avec le principe du capitalisme, dont l’objectif est de s’appuyer sur des besoins sans cesse renouvelés et accrus, si
nécessaire par l’artifice du marketing, en obtenant ainsi des plus-values incessantes et toujours plus importantes.
On comprend mieux pourquoi, pour certains responsables politiques et économiques, le recours au terme de "sobriété" relèverait plutôt du slogan opportuniste que de la réelle conviction, voire
qu’il puisse friser l’imposture !
On aimerait bien sûr, que la sobriété puisse être seulement une chasse au gaspi indolore, et qu’elle soit porteuse d’emplois et de croissance. Mais assurément cela ne sera pas suffisant au regard
de la crise écologique dont nous avons constaté tant d’effets catastrophiques ces derniers mois.
Cela nécessitera moins de croissance même si l’efficacité est améliorée.
Le capitalisme pourrait il y survivre ?
Tout dépendra, au final, de la manière dont les efforts de sobriété seront répartis entre les acteurs économiques.
Le risque est grand en effet que leur impact soit plus important sur les salariés, les travailleurs précaires, les chômeurs, … que sur les milieux les plus aisés
Le traitement social de la sobriété sera déterminant, pour son succès comme pour son issue.