Risques de coupures d’électricité cet hiver : qui est responsable ?

Le système électrique français est réputé pour manquer de marges de manœuvre pour répondre à la pointe de consommation hivernale, à tel point que, chaque année, une inquiétude apparaît quant aux risques, plus ou moins fondés, de coupures de courant.

Le responsable ? Un mélange de facteurs conjoncturels difficilement prévisibles et de manquements politiques plus structurels.

Pour l’hiver 2022-2023, cette inquiétude saisonnière est plus importante car le niveau de risque est monté d’un cran, de l’aveu même du gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE, et même dans certaines déclarations du gouvernement : le mois de janvier 2023 concentrerait davantage de risques que les années précédentes.

 

Pour autant, il ne faudrait pas s’attendre à un grand « black out » : les éventuelles coupures de janvier 2023 prendraient au pire la forme de délestages tournants de 2 heures, plus ou moins nombreux suivant les scénarios.
De plus, ils restent évitables si des moyens susceptibles de maîtriser la demande sont activés, comme le dispositif Ecowatt ou la baisse de consommation pour les entreprises. Ainsi on observe déjà en décembre, une baisse de près de 10 % de la consommation par rapport à la moyenne 2014-2019.
Mais l’inquiétude est bel et bien là, d’autant plus forte que le système électrique français a longtemps fait l’objet d’une fierté nationale.
D’où des interrogations légitimes, voire des accusations, vis-à-vis des responsables de ce qui apparaît comme une défaillance, voire une régression.

Les anti-nucléaire ? les pro-nucléaire ? EDF ? Poutine ? le gouvernement ? les anciens présidents ? …
En réalité, il y a plutôt une série de causes, certaines conjoncturelles, donc difficilement prévisibles par qui que ce soit, d’autres plus structurelles, et pouvant donc mettre en question des responsabilités politiques.


Ce n’est pas la météo qui est pour l’essentiel en question.
Bien sûr, l’hiver influe sur les risques d’approvisionnement en électricité., beaucoup plus en France à cause de l’importance du chauffage électrique.
On rappelle que la construction des centrales nucléaires s’est accompagnée d’une très forte incitation à équiper les logements neufs, notamment les logements sociaux, mais aussi les logements anciens, de convecteurs électriques : la politique du « tout électrique » battait son plein dans les années 80.
Conséquence : la pointe de consommation d’électricité intervient toujours en hiver, généralement en fin de journée.

Pour chaque degré de température extérieure en moins, l’appel de puissance supplémentaire est d’environ 2,4 gigawatts (GW), soit l'équivalent de deux réacteurs nucléaires.


Ce n’est pas non plus à cause de la guerre en Ukraine, en tout cas pas pour l’instant.
Si l’invasion de l’Ukraine a provoqué de fortes tensions sur l’approvisionnement en gaz, celui-ci ne sert à produire de l’électricité en France que pour 6,3 % du total de notre production.
Certes la France achète de l’électricité à ses pays voisins qui, eux, la produisent essentiellement à partir du gaz, mais l’Allemagne, qui est notre principal pourvoyeur, ne connaît pas de crise d’approvisionnement en gaz, en raison notamment de la baisse de sa consommation domestique.
La principale conséquence de cette crise, ce n’est donc pas un risque de pénurie, mais c’est l’explosion du prix de l’électricité, parce qu’il est indexé sur celui du gaz.

La responsabilité d'EDF est largement engagée.
Les trois quarts de la production d’électricité française est d’origine nucléaire.
Les difficultés actuelles viennent donc en majeure partie du manque de disponibilité des centrales nucléaires à l’approche de l’hiver. Celui-ci est en partie lié à l’épidémie de Covid-19, qui a engendré de nombreux retards dans le lourd programme de maintenance du parc nucléaire, ce qu’EDF appelle le « grand carénage », destiné à prolonger leur durée de vie jusqu’à 40 ans.
De nombreux chantiers, d’une durée de plusieurs mois, prévus initialement en 2020, ont été reportés en 2021 et 2022.
En réalité, si le parc nucléaire est autant sous tension, ce n’est pas seulement la faute de l’épidémie, mais surtout lié la découverte de problèmes de corrosion qui touchent 15 réacteurs sur 56, dont les plus récents et les plus puissants.
Cette corrosion ne serait pas due à la vétusté des équipements, mais à des modification techniques apportées par EDF sur les tuyaux des réacteurs les plus récents.
Par ailleurs, la responsabilité d’EDF est largement engagée dans le retard dans le chantier de l’EPR de Flamanville, qui aurait dû être terminé en 2012 et aurait dû coûter moins de 4 milliards d’euros.
Ce « prototype » aurait dû être suivi, à partir de 2020, d’autres réacteurs du même type.

Onze ans et 9 milliards d’euros de dépassement de coûts plus tard, il n’est toujours pas en service !
Quelles qu’en soient les causes, il est clair que la filière électronucléaire française a perdu en compétences.

 

Et la controverse pro ou antinucléaire ?
Pour de nombreux partisans de l’atome, les problèmes de la filière nucléaire sont liés à l’action des militants anti-nucléaire, qui ont retardé la décision politique de lancer de nouveaux chantiers de réacteurs, tout en exigeant l’arrêt de centrales existantes, notamment celle de Fessenheim.
A l’inverse, pour beaucoup d’anti-nucléaire, le retard pris dans le déploiement des énergies renouvelables et les économies d’énergie est lié à l’action des lobbys attachés au nucléaire et auxquels le gouvernement a été sensible.
Si ces deux camps semblent irréconciliables, il est certain que le manque de marges du réseau est bien d’origine politique, car il est lié à l'absence de planification du système électrique sur le temps long.
En réalité cette controverse est -polarisée de manière excessive, quasiment hystérisée, comme s’il s’agissait de choisir entre 2 options exclusives : tout nucléaire ou pas de nucléaire du tout.
Mais même si l’on considère qu’à court terme, la France ne peut pas se priver de sa filière nucléaire, il faut bien admettre que le parc nucléaire actuel a une fin.
Et qu’il faudra bien planifier son remplacement, en prenant en compte que les besoins en électricité ne vont peut-être pas baisser, du fait de l’électrification de multiples usages qui sont actuellement dépendants des énergies fossiles.
Mais, depuis 20 ans, les gouvernements français n’ont guère porté politiquement le développement des énergies renouvelables, refusant de voir qu’il était indispensable, ne serait ce que pour attendre la réalisation du parc d’EPR !


Les énergies renouvelables contribuent pourtant déjà à la sécurité d’approvisionnement électrique.

L’éolien permet aujourd’hui de réduire les besoins d’importations d’électricité carbonée de nos voisins européens, et la production solaire – encore faible – permet dans journée d’économiser l’eau des barrages hydroélectriques avant le pic de consommation du soir.
Aurait-il fallu construire plus de centrales nucléaires ou plus de capacités de production renouvelables pour sécuriser l’approvisionnement ?
Il est évidemment impossible économiquement de construire à tout va.
Mais il est plus rapide et moins onéreux de développer des capacités de production renouvelables que des centrales nucléaires (qui demandent dix ou vingt ans de chantier et des milliards d’€ d'investissement)


Le problème principal est le manque de sobriété et d’efficacité énergétique.
Le problème structurel du réseau électrique français, c’est sa sensibilité au froid.
La pointe électrique hivernale est deux fois supérieure à la pointe électrique estivale.
Le développement du chauffage électrique en France a été une manière de donner une raison d’être à un parc nucléaire qui était un peu surdimensionné. Mais être tellement dépendant de l’électricité pour le chauffage implique d’avoir besoin de moyens de production de pointe uniquement pour cela.
Plus que la question de la source énergétique du chauffage, il faut agir d’agir sur la demande d’électricité via l’efficacité énergétique en diminuer de manière importante les besoins de chauffage électrique qui sont à l’origine de la pointe de consommation hivernale.
Les solutions sont connues : d’abord isoler les logements, ensuite déployer des chauffages électriques moins énergivores – notamment des pompes à chaleur – et, enfin, mieux piloter le chauffage pour pouvoir le répartir autour des pointes de consommation.


Malgré toutes ses déclarations le gouvernement est très loin de ces objectif, puisqu’il vient notamment de prendre de nouvelles mesures pour inciter au chauffage électrique dans les logements.
Dans cette matière comme dans d’autres, ce qui lui manque c’est une véritable vision planificatrice.