
C’est un arrêt qui fera date dans l’histoire des pesticides.
Jeudi 19 janvier, la Cour de justice européenne a confirmé l’interdiction des néonicotinoïdes sous forme de semences enrobées.
Elle a précisé à nouveau que ces insecticides tueurs d’abeilles ne peuvent bénéficier d’une dérogation d’utilisation s’ils ont déjà fait l’objet d’une interdiction
préalable.
Et même si les cultures sont menacées d’une épidémie.
Quel camouflet pour la France, dont le ministre de l’Agriculture, Marc Fresneau, n’avait pas hésité à se faire le porte-voix des lobbies du secteur de l’industrie sucrière, en s’apprêtant
à prolonger la dérogation à leur interdiction dans la culture des betteraves qu’il avait déjà autorisée à 2 reprises.
Sous forme de semences enrobées, les néonicotinoïdes sont un insecticide systémique, c’est-à-dire un traitement de masse préventif, alors que les dangers – en l’occurrence, la prolifération de pucerons – ne sont qu’hypothétiques. Mais les effets de ces substances chimiques, eux, ne sont pas hypothétiques, ils sont bien réels : populations d’insectes et d’oiseaux en chute libre, déséquilibre des écosystèmes.
La Cour de justice européenne stipule dans son arrêt qu’un État membre de l’Union européenne ne peut autoriser l’utilisation de ces produits dès lors que la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de ces mêmes produits ont été expressément interdites par un règlement d’exécution.
Or ces substances chimiques sont expressément interdites par le droit communautaire depuis 2018.
Ainsi les juges considèrent qu’aucune urgence, aucun danger ne peuvent permettre de suspendre cette interdiction, même momentanément.
Cette décision fait suite à la requête de deux associations environnementales belges et d’un apiculteur confrontés à la réintroduction, par dérogation, des néonicotinoïdes dans certaines cultures en Belgique, dont la betterave sucrière.
La France déroge à l’interdiction de ces produits depuis que la loi, votée en octobre 2020 sous la pression des betteraviers, autorise de continuer à planter des semences de betteraves enrobées de ces insecticides.
Elle se trouve donc contrainte de revenir dans la légalité en annulant cette exception et de développer des méthodes de culture moins destructrices pour les écosystèmes.
L’arrêt du 19 janvier intervient alors que la voie poursuivie jusque-là par le gouvernement français allait précisément en sens inverse et se trouve actuellement sous le feu des critiques.
Ainsi, ces derniers jours, annonces de boycott et démissions se sont succédées au sein du « conseil de surveillance », qi avait été instauré pour discuter, chaque année, de la reconduction de cette dérogation dans la culture de betteraves et de la mise au point de méthodes alternatives, a vu se succéder annonces de boycott et démissions ces derniers jours.
L’association Agir pour l’environnement et le syndicat de la Confédération paysanne ont annoncé leur démission ; la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et Générations futures – association en pointe dans la lutte contre les pesticides - informaient qu’elles boycotteraient ses travaux.
Surtout, les associations environnementales soulignent le caractère biaisé des recherches conduites par cette instance et l’insuffisance de données objectives permettant de justifier le maintien des néonicotinoïdes
Par exemple, des prélèvements ont été effectués sur différentes parcelles afin de tester le virus de la jaunisse, mais ces prélèvements n’ont pas été réalisés de manière cohérente sur le territoire. Il n’y en a pas eu en Alsace, par exemple, où l’on ne sème pas de néonicotinoïdes : cela aurait permis une étude comparative.
Les associations critiquent l’absence de recherches sérieuses sur ce qui était initialement l’objet du conseil de surveillance, à savoir trouver d’autres moyen de lutter contre ces « ravageurs de culture » que sont les pucerons, vecteurs de la jaunisse qui peut décimer la production : produits moins toxiques, méthodes de culture alternatives
Par exemple, aucun programme de recherche n’a été lancé pour développer la production biologique de betteraves. Or la culture bio de betteraves sucrières existe, et cette filière a plutôt bien résisté ces dernières années aux épidémies de jaunisse.
Plusieurs membres du conseil de surveillance considèrent que cette instance n'est qu'une mascarade, dans laquelle ils n’ont eux-mêmes aucun rôle réel. Ils refusent d’autant plus d’en être plus longtemps les cautions qu’ils ont constaté que c’est l’Institut de la betterave (ITB), membre de ce conseil, avec le soutien de la FNSEA, de la Confédération générale des planteurs (CGB), de l’Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre, qui en est le véritable pilote.
Par exemple, il réalise lui-même des expérimentations et de recherches, tout en ayant participe à l’organisation des appels d’offre correspondants : quelle neutralité !
Jusqu’ici, ni le gouvernement français, ni cette instance, n’a voulu prendre en compte les travaux antérieurs du CNRS et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) .
Ils ont pourtant identifié clairement un ensemble de 22 alternatives aux néonicotinoïdes : utilisation de produits chimiques moins rémanents et plus ciblés, techniques agronomiques pour se passer des produits toxiques ...
Certaines associations envisagent à présent un recours en référé – soit une procédure judiciaire d’urgence – si le gouvernement décidait de prolonger la dérogation pour la
culture de betteraves une troisième année consécutive.
L’arrêt de la Cour européenne vient leur donner un argument de taille.